Rachel DORANGE, 2e Raid Hippique féminin Paris-Cannes

Oh ! Mes fers de rechange, ce que je les ai bénis !

Que n’aurais-je pu réaliser avec le cheval que j’avais, l’entraînement et l’endurance que je possédais si, en plus, j’avais eu ne fut-ce qu’un cycliste pour m’accompagner ? Il aurait porté mon paquetage, massé, douché, sellé mon cheval. L’écurie aurait été trouvée, préparée. Nous aurions eu, Grain et moi, un entraîneur et notre route éclairée.

C’est alors que j’aurais pu dire : « J’ai fait la promenade Paris-Cannes et non le raid d’endurance Paris-Cannes ».

Avec le recul je vois à quel point j’ai fauté, non dans mon raisonnement, ma préparation, ni dans l’exécution, mais par naïveté et par ignorance de l’esprit du raid.

Je croyais sincèrement aux dernières conditions de ce raid et à des contrôles sérieux. Or il n’en a rien été.

Si seulement une âme généreuse m’avait prévenue de ce qui se passait j’aurais pu changer mes batteries et agir en conséquence.

A tous ceux que pareilles randonnées tenteront dans l’avenir, je conseille de méditer mes déboires afin de les éviter.

Je demande ici à Monsieur Henry Larquey, qui écrivait dans l’Oeuvre lors de raid Paris-Cannes, comment il considère un raid hippique (ou tout autre raid).

Personnellement je suis pour ce règlement unique, appliqué à toutes les concurrentes, sans distinction, quel que soit le degré de sympathie des journalistes pour l’une ou pour l’autre : Le cheval et la cavalière seuls sur la route livrés à leurs propres moyens et devant être éliminés (et non aidés) dès qu’ils ne se trouvent plus en forme pour continuer. Pas de catégories ni de tricheries possibles. Et, si l’on accepte des différences au départ, les reconnaître à l’arrivée, mais non tergiverser. Justice d’abord ; nous en fûmes loin !

Il y avait un handicap de huit heures pour les cavalières accompagnées de soigneurs en auto, de trois heures pour les accompagnements par cyclistes ; c’est peu vraiment car je considère, moi qui ai l’habitude de la route à cheval, que mon effort correspondait à accomplir deux fois le raid, malaises mis à part.

Quant à nous classer toutes ex-aequo, pourquoi ne pas plutôt déposer les unes dans une chaise à porteur tandis que les autres caracoleraient sur la route dure ? Non, en vérité, Monsieur Larquey, le sport n’y a pas trouvé son compte.

Il parait que Madame F. s’était fait inscrire pour la première catégorie : cheval et cavalière sels sur la route.

Le « fin du fin » était de le faire croire sans jamais s’y soumettre – car, à Autun, où elle était connue et peu aimée, pour avoir, lors du premier raid, fait des réflexions peu amènes à propos d’une ferrure, voulant faire croire que le forgeron avait blessé son cheval en le ferrant et l’avait rendu boiteux, alors qu’il avait subi l’opération de la névrotomie (chacun sait que tout cheval névrotomisé a de mauvais pieds).

- A Autun, dis-je, on avait vu un cycliste qui l’aidait et la suivait. A partir de Lyon l’auto de son frère l’accompagnait, en cachette autant que faire se peut, cela va de soi. Une autre auto l’accompagnait également et cela depuis Paris jusqu’à Cannes. Les occupants en sont connus … Mais tout cela, elle ne le faisait pas ouvertement ainsi que le faisaient les autres cavalières. Elle voulait bien profiter des aides mais aussi du handicap.

Dans une auberge où j’ai passé la nuit elle était arrivée la veille à 23 heures. Où donc sont les 20h30 du règlement ?

Tout le long du parcours elle eut une mascotte qui la protégeait et lui permettait toutes les fraudes.

Il n’était question que d’elle. Les autres cavalières étaient de pâles sujets à côté. Quant à moi j’étais inexistante. Mais on disait de Madame F. qu’elle était partie après les autres, que son cheval n’était pas arrivé à la Porte Dorée, qu’elle était tombée sans se faire mal… (quelle est l’amazone, à cheval ou à pied, qui ne soit tombée sur ces routes verglacées ?) qu’elle avait perdu puis retrouvé son portefeuille, qu’elle avait la cuisse noire pour avoir approché de trop près une auto en marche (sans doute celle qui l’accompagnait), que son cheval avait failli prendre le galop parce qu’elle s’était pris la jambe dans les rênes, (prendre le galop pour un cheval entravé, c’est évidemment un record bon à signaler), qu’elle avait eu du retard pour avoir fait ferrer (quelle est la cavalière qui n’a pas eu besoin de faire ferrer). Que sais-je encore ?

Bref, ce n’étaient que litanies en sa faveur (1).

Elle avait été assez adroite pour trouver le journaliste qui la mettrait en valeur.

Point n’était besoin pour ce raid d’avoir des qualités équestres et sportives, il suffisait d’avoir du culot. Mais, même par intérêt, il faut un certain courage pour composer un personnage avec une telle fantaisie et déguiser ainsi la vérité. C’est pousser l’humour un peu loin ! N’est-ce pas Monsieur A.M. ?

Heureusement à Cannes, ville cosmopolite, où les connaisseurs ne manquaient pas, il s’en trouva pour remettre les choses au point et chaque cavalière à sa vraie place (2). Je leur en exprime ici ma reconnaissance.

Si l’on totalise le nombre d’heures de chaque concurrente, je suis persuadée, malgré mes déboires, n’avoir pas dépassé 105 à 108 heures tandis que beaucoup, pour ne pas dire toutes, atteignirent 170 à 180 heures et je suis généreuse. L’on comprend alors pourquoi certaines cavalières, - et certains chevaux – manquaient de sommeil (3).

Quant à moi j’ai dormi et Grain, s’il a gardé sa fraîcheur jusqu’au bout n’a pas non plus manqué de repos ni de soins (4).

« Le cheval de la gagnante, est arrivé avec des jambes d’hippopotame (pauvre bête !) c’est tout dire » a-t-on pu lire dans certains journaux.

Tandis que Grain qui n’avait souffert en rien malgré mon paquetage, dès le lendemain de son arrivée à Cannes, après une longue nuit de repos et plusieurs douches sur les jambes, levait le cul comme au départ.

Et au vin d’honneur, il trempa sa langue dans la coupe de Monsieur Gustave de Lafreté qui ne s’en méfiait pas.

J’avais demandé à l’auto-contrôle qui détenait mes fers de rechange, que l’on veuille bien m’en déposer un jeu à la gendarmerie d’Aix. J’espérais les y trouver et de cette façon de perdre moins de temps. Mais, hélas ! Rien n’était à la gendarmerie. Cela fut-il voulu ?
Aux dernières étapes je me retrouvai en forme ou à peu près : j’avançais régulièrement. Les entraîneurs de ces dames leur disaient : « Mademoiselle Le Bourdonnec gagne du terrain. Mlle Le Bourdonnec n’est pas loin. ». alors elles trottaient en conséquence espérant garder leur avance.

A la fin de la journée nous avons couché dans le même hôtel.

Mais le matin elles se sont rattrapées en me faussant compagnie. Elles sont parties à 2h30 tandis que j’avais demandé à l’hôtelier de me réveiller à 4 heures afin, pour une fois, de pouvoir partir à 4h30 ; Je partais habituellement quand le jour commençait à poindre. Or, à vitesse égale, deux chevaux qui partent à la même heure arrivent en même temps et Grain était le plus vite de tous.

Pour garder leurs deux heures de fraude elles ont galopé. Galoper ! Quand un cheval est déjà fourbu pour avoir près de 1.000 kilomètres dans les jambes, c’est criminel ou inconscient. Qu’en pense Monsieur Larquey ?

J’ai pris part à cette randonnée avec l’idée qu’un raid hippique était un déplacement sportif sinon courtois.

Combien de fois ai-je eu à constater le contraire ?

Toutes les amazones ont triché et aucune sanction ne leur a été infligée.

Ce raid a été fait dans le même esprit que le précédent et je ne citerai qu’un exemple :
La gagnante de l’an dernier que l’on appelait « l’amazone invisible » avait fait la plus grande partie du parcours dans une auto, le cheval attaché derrière et trottant tranquillement la nuit.

L’on conçoit donc aisément quelle fut invisible et gagnante ; elle était si peu fatiguée qu’elle put, en qualité de danseuse, faire une exhibition de danse sur la scène du Casino.

A moi, on me demanda de faire un tournoi d’escrime, sur la même scène. Je prétextai n’avoir pas ma tenue d’escrimeuse. On me répondit : « Qu’à cela ne tienne, on vous en trouvera une et comme partenaire vous n’aurez que le choix ».

Alors je dis la vérité. Je n’avais pas de jambes. Mon genou était toujours douloureux et mon petit orteil ne me permettait d’utiliser d’autres chaussures que mes bottes, au point que je dus les garder avec ma robe du soir et certes ce n’était pas une tenue élégante…

Bien piteuse fut l’organisation de ce raid et trop stupide ma naïveté d’avoir pu croire qu’il y avait de la loyauté sportive dans ces sortes de compétitions.

Si je m’étais fait accompagner d’un cycliste seulement, j’aurais perdu trois heures de handicap ; j’aurais gagné deux jours et n’aurais subi aucune souffrance.

Mais aussi, qu’allais-je faire parmi ces « civilisés » moi, l’amante de la nature, qui n’aime que les chevauchées solitaires, les forêts et les plages désertes ?

Marie-Claude LE BOURDONNEC

Eh bien merci pour ce texte vivant! autant j'ai eu du mal à lire les autres articles, autant là la narration par une des participantes m'a passionnée!

A Liti',

L'enquête continue. Demain matin chez un photographe à Arcachon, "Les enfants terribles" ... des clichés de 1946, Paris-Deauville ... en fiacre.

A suivre, si vous voulez, un post : Rachel Dorange, Paris-Biarritz-Barcelone 1930.

APRES LE REQUISITOIRE DE M.C. LE BOURDONNEC CONTRE Mme F. (Mary FERAUD) la parole est à l'accusée :

« Stuart cheval raconte » Chapitre III, Cheval de raid.
Par Mary FERAUD.

« Je ne dirai rien de ce premier raid, dont on a tant parlé, et que je dus interrompre à Mâcon, souffrant atrocement parce qu’un maréchal avait supprimé trop de corne à mes sabots.

« Pas de pied, pas de cheval… rien non plus de ce deuxième raid qui fut une performance extraordinaire puisque, dans la neige, le verglas, toujours ferré à glace, par un froid intense, j’arrivai à couvrir le distance de Paris à Cannes en neuf jours et demi, heureux de constater que le public français aime, au plus haut point, l’honnêteté dans le sport.

Il sait reconnaître tout de suite une fausse sportive, encline à tricher, d’une vraie, sincère et convaincue, incapable de la moindre fraude. Celle-ci, il l’aide à se faire très vite un nom dans le sport.

« Mais je parlerai de mon troisième raid : Paris-Rome, de cette marche triomphale vers la « Ville Eternelle ».

Mme F., vainqueure ex-aequo du 2e Paris-Cannes, inspiratrice du 1er, rhabillée pour l'hiver ! :


« Aux Ecoutes » du samedi 26 janvier 1929

Le raid hippique Paris-Cannes

Mme M.F. née M., est de bonne famille, veuve d’un avocat marseillais. Un de ses frères est médecin, un autre préfet.

Le cheval et la bonne chère sont les seules préoccupations de sa vie. A table, elle a un coup de fourchette remarquable, mais à cheval son assiette l’est beaucoup moins.

Pourtant elle a su se créer une réputation de cavalière.

Le vérité est que Mme f ; accomplit la majeure partie de ses étapes à pied. Elle a horreur du trot, et pour cause. Quant au galop, même en dehors de ses raids, elle en use le moins possible, par prudence.

Dans Paris-Cannes, elle prit le départ avec une demi-heure de retard, mais avec des souliers fraîchement cloutés. A l’arrivée à Mandelieu, elle avait repris vingt-cinq minutes, mais ses semelles étaient percées.

On peut s’étonner que Mme F., arrivée cinq minutes seulement après Mlle G., handicapée de trois heures par le présence d’un soigneur cycliste, ne se soit pas classée première.

L’explication est simple : Mme F. a été l’objet de pénalisations nombreuses qui lui ont été appliquées pour les petites « habiletés » auxquelles elle recourut, à partir du moment où elle vit Mlle R.G. lui tenir tête et la dépasser.

Un soir, se trouvant en retard pour gagner son gîte d’étape, elle amplifia, assure-t-on, un incident de route, qu’elle a peut-être provoqué. Elle fit croire qu’elle avait été renversée avec sa monture par une automobile arrivant sur elle, tous feux éteints, sur le côté gauche de la route.

Alertés en pleine nuit, deux commissaires de l’épreuve flanqués du vétérinaire arrivèrent d’Aix-en-Provence où ils la trouvèrent attablée, dégustant un civet de lapin, tandis qu’à l’écurie son cheval, intact, mangeait tranquillement son picotin.

Le dernier matin de l’épreuve, elle fut surprise en pleine forêt, à la sortie de Brignoles, accompagnée de deux hommes à pied qui éclairaient sa route et lui indiquaient les bons passages.

Mme F. est anti-cavalière et n’a pas de loyauté sportive… Mais c’est une marcheuse et une femme d’une énergie peu commune.

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