Rachel DORANGE et les Paris-Cannes féminins

A la suite du Paris-Berlin-Paris en amazone en 1927, une cavalière Mary FERAUD lança un défi à Rachel. Relayé par la presse et notamment le journal "La Liberté", dirigé par Armand MASSARD, champion olympique en escrime, futur vice-président du Comité International Olympique une "tentative de raid hippique féminin" fut organisé pendant l'hiver 1927-1928 auquel Rachel DORANGE refusa de participer. Elle accepta de participer à la seconde édition en 1929.

Ces deux "raids hippiques féminins" permettent, à mon avis, de mieux dater la rupture épistémologique entre la "monte en amazone" recommandée pour les dames et la "monte à califourchon" pour tous.

Vos avis m'intéressent ...

On verra ce qu'il en a été de la participation de Rachel DORANGE aux Paris-Cannes dont elle était la favorite.

L'organisateur Armand MASSARD s'en rappelait dans ses mémoires publiées en 1970 :
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Hélas, sa mémoire n'était pas très fidèle ...

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La Vie qui passe
in Le Gaulois , mardi 21 février 1928, p.1

La matinée des amazones

Le ciel de février prenait des airs d’avril.
Mais pourquoi commencer par un alexandrin ?
Bon, voilà que j’en écris un deuxième ! Est-ce parce qu’il s’agit de femmes ?

Or donc, hier matin, au Bois, près du pavillon Dauphine, devant le manège de L’Etrier, les cinq concurrentes du raid Paris-Cannes ont soumis à l’examen d’une commission sanitaire les braves bêtes qui vont effectuer l’épreuve.

Qui veut voyager loin prend soin de sa monture. Et les écuyères étaient en costume de route « Pas tout à fait », nous a dit Mme Cody, qui a l’intention de quitter ses bottes habituelles, trop peu résistantes, et de chausser des houseaux d’aviateur. Veut-elle enfourcher Pégase ?
Non, elle n’enfourchera que Love, minuscule jument baie, mais combien nerveuse, agée de onze ans. Mme Mary Féraud – une « amazone », elle, est l’instigatrice de la tentative – montera Stuart, père du crack allemand « Charlot », agé de dix ans. Tricorne noir, redingote grise, gilet de laine mauve, Mme Féraud, cela se voit, sait tenir les guides. Mlle Eddy Wedd (deux lèvres au carmin sous deux yeux de jais) tentera la chance avec « Love VII », pur-sang bai brun de dix ans. Mlle Rachel Grossi, coiffée d’une rigide casquette kaki, éperonnera « Yarmout », cheval gris de douze ans. Et Mlle Gaïatry, toute jeune danseuse indienne, vêtue comme pour jouer au tennis dans la neige, murmura en sanscrit – c’est la seule langue qu’elle parle – les mots de réconfort que guette « Colibri ».

Sous les branches encore dénudées des premières futaies de Boulogne, le spectacle, hier ne manquait point de pittoresque. Mais si Mme Cody, par exemple, « cow-girl » et lanceuse de lasso, porte le nom prometteur d’un fameux colonel qui fut Buffalo Bill, et si Mlle Gaätry serre contre elle, comme fétiche, une surprenante tortue, il faut enregistrer une défaillance, celle de Martha la Corse, la dompteuse. Ironie du sort ! Celle qui vit parmi les fauves n’a pu, nous assure-t-on, trouver une monture adéquate. La sienne boite ! « Que n’a-t-elle un lion, suggérait quelqu’un. Et un pince-sans-rire ajoutait : « Paris-Lion-Méditerranée. »

Scrupuleusement, M. le vétérinaire Cliquet scruta les naseaux, étudia les mâchoires, palpa les flancs, et finalement dressa l’état signalétique des montures admises au départ.

Ca, qu’on selle,
Ecuyer,
Mon fidèle
Destrier…

Un groupe d’invités mondains, augmenté d’une foule amusée et curieuse, assistait aux opérations, sans souci des ruades des chevaux qui, parfois, provoquaient bien quelques ondulations du public, reculant vers les barrières peintes…

Au reste, tout se passa le mieux du monde et l’on se montrait plusieurs organisateurs, notamment les membres de la commission : Mme J. Brignoli, secrétaire générale de l’Automobile-Club féminin ; les chefs d’escadrons Mousson et Fresson, les capitaines Franck-Puaux et de Carné, MM. Trémeau et Cohn, notre confrère M. Armand Massard, président ; le vétérinaire Cliquet, commissaire général ; M. Le Provost de Launay, le général de Lagarenne, le capitaine Esnault-Pelterie, le peintre Georges Scott…

Seulement, outre le contrôle sanitaire, ce fut une répétition générale devant les photographes et les cinéastes. Que de déclics !

Pendant ce temps, des fervents de l’hippisme discutaient ; « C’est une Allemande qui, il y a quelques mois mit ces raids à la mode, arrivant à Paris de Berlin et provoquant la réplique de Mlle Dorange. « Mais non, mais non, ce n’était pas une Allemande ! C’était une journaliste suédoise, Mlle de Klinck-Rowstrom. Elle venait de Stockholm ». Authentifions ce dernier renseignement. C’est en effet une Scandinave qui lança la mode de ce genre de randonnées féminines, il y a environ un an. Elle avait même fait une étape à Bruxelles, à l’occasion du mariage de la princesse Astrid avec l’héritier du trône de Belgique.

… Après demain, sous les roses d’aurore, à sept heures quarante-cinq exactement, les cinq écuyères montant à franc étrier quitteront Paris par la porte de Choisy.

Bottées de cuir souple et gantées de blanc, chacune emportera le talisman de la date d’hier, choisie par elles pour leur porter chance : nouvelle lune ! Le temps sera favorable, espérons-le, à leur hardiesse et à leur grâce, et le soleil ne cessera d’accompagner la course des amazones jusqu’à la Croisette – où, précédant la première, il fêtera la victoire de Cannes.

Jean BERTHOLIN

Merci

La question centrale pour les amazones à la fin des "Années folles" :

extrait de la revue "Cyrano" :

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Fabuleux document

Demandez le programme :

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Merci beaucoup pour ce nouveau reportage. Les articles sont écrits dans un français tellement agréable à lire que je les relis juste pour le plaisir de voir des belles phrases.

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Premier crêpage de melon à Melun entre RachelDORANGE et Mary FERAUD: [img][/img]

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Paris-Melun 50km.

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Paris-Cannes à cheval
"Nous terminerons toutes !"

Ainsi peuvent se résumer les impressions des amazones qui prennent le départ

Ce matin, à 7h45, jour et heure fixés par le comité organisateur, partent de la porte de Choisy, les gracieuses centauresses qui vont s'affronter la grande route. Quelques raids hippiques de semblable importance sont restés célèbres mais c'est la première fois dans les annales équestres, que des femmes s'attaquent à si longue et rude épreuve.

D'aucuns ont même prétendu que le succès n'était pas possible et que pas une des partantes n'arriverait au but. Une telle affirmation est bien exagérée. Certes, le raid Paris-cannes, pour une femme, n'est pas une mince entreprie, mais il est loin d'être impossible. D'ailleurs, pour nous en convaincre, écoutons ce qu'en pensent elles-même les héroïnes :

Miss Cody
c'est au petit restaurant familial cher aux "enfants de la balle", tout à côté du Cirque d'hiver, que nous trouvons Miss Cody.
- Mes impressions ? nous dit-elle en riant mais elles sont tout naturellement excellentes. J'ai une bête très sûre, une jument baie de onze ans...
- Love. Ne lui reproche-t-on pas sa petite taille ?
- Si, mais cela ne veut rien dire. Love a beau n'avoir que 1m41, je suis aussi certaine de terminer sur son dos que si je montais n'importe quel cheval d'armes.
Mlle Gaïatry
Non moins affirmative, Mlle Gaïatry nous parle avec fougue de son grand Colibri.
- Il tire terriblement, mais ça ne me gêne pas. Une seule chose m'ennuie, c'est le trot. En effet, dans mon pays- car vous n'ignorez pas que je suis Hindoue - j'ai fait du cheval depuis le plus jeune âge mais je n'ai jamais pratiqué que deux allures, le pas et le galop. Aussi m'a-t-il fallu me mettre au manège et j'apprends le trot... depuis 8 jours.
- Vous ne redoutez pas, au cours d'une aussi longue randonnée d'être handicapée par ce manque d'habitude ?
- Tant pis ! Et même, si je dois en souffrir, j'emploierai les remêdes énergiques que pourra nécessiter la situation : gros sel, vinaigre, et même, s'il le faut ... acide picrique..
- Brrr... quel courage !
- Et puis, en plus de ce que vous appelez mon" courage", j'ai deux autres avantages : d'abord, je monte à 43 kilos et, surtout, je serai soutenue par cette idée que je arche vers le soleil et pour une Orientale...

Miss Eddy Wed
Miss Wed, bien que toute jeune, est une vieille écuyère.
- Après avoir un peu hésité j'ai enfin choisi Love VII, un bai de 11 ans qui "allonge" énormément, au pas et au trot. Il a le pied sûr, l'oeil bon, la bouche moyenne, ni trop douce, ni dure. Bref, c'est, à mon avis, le cheval rêvé pour réussir un raid aussi long.
- Que prévoyez-vous comme étapes ?
- Environ 60 kilomètres par jour. allure militaire, 2 tiers de pas, 1 tiers de trt, avec haltes horaires très courtes : 5 à 10 minutes.

Mlle Rachel Grossi
Ecuyère de pure race, Mlle Grossi est fille de père et mère qui sont "gens de cirque". M. Grossi "présente" depuis l'âge de 7 ans sur les pistes de sciure. Sa mère a passé toute sa vie, elle aussi, à cheval, sous la lumière crue des projecteurs.
- Je pars sans inquiétude, nous affirme la très gracieuse Rachel Grossi, je suis née à cheval et je puis déclarer sans forfanterie que je me trouve plus à mon aise sur le dos de Yarmouth que dans un fauteuil.
- Cheval blanc, Yarmouth ?
- Oui on a tort de médire des chevaux blancs. On prétend qu'ils sont mous : c'est faux... et nous le prouverons, termine impétueusement la jeune amazone.

Mme Mary Féraud
Mme Mary Féraud, la seule du groupe qui ne soit pas professionnelle, en dépit de la grippe dont elle relève à peine, n'est pas moins sûre du succès que des concurrentes.

A toutes, bonne chance et bonne route !

Quelle collection mais quelle collection! Et cette dernière série fait sourire en prime, merci!

A erosml, mundial et marie g ... courage !

Un long raid commence par une première étape ! Reste à les mettre dans l'ordre en recourrant à plusieurs sources de données, la presse nationale, régionale ... et les récits de Mary Féraud, Vicomte d'Alauzier et Mlle Le Bourdonnec (concurrente en 1929) qui nous réservera une grosse surprise :
LE PETIT JOURNAL, vendredi 24 février 1928.

"La première étape est terminée"
"Les amazones ont parcouru la première étape sans incident. Cavalières et montures sont arrivées hier après-midi aux Chartrettes, sans présenter la moindre trace de fatigue.
Melle Gaïatry, la première traversait Melun et Mlle Grossi, en compagnie de Mlle Cody, parvenait à 16 heures au contrôle des Chartrettesd suivies de près par les autres concurrents."

Les étapes relient en fait deux points de contrôle obligatoires, certaines concurrentes effectueront parfois plusieurs étapes en 24 heures :

Paris-Chartrettes :49km
Chartrettes-Sens : 63km
Sens-Auxerre : 54km
Auxerre-Avallon : 52km
Avallon-Liernais : 45km
Liernais-Autun : 36km
Autun-Mont-Saint-Vincent : 53km
Mont-Saint-Vincent-Mâcon : 50km
Mâcon-Trévoux : 53km
Trévoux-Vienne : 49km
Vienne-Saint-Donat : 49km
Saint-Donat-Crest : 53km
Crest-Grignan : 45km
Grignan-Avignon : 55km
Grignan-Avignon : 55km
Avignon-Cadenet : 54km
Cadenet-Aix-Rians : 46km
Rians-Salernes : 45km
Salernes-Fayence : 50km
Fayence-Cannes

Gaïatry est déjà à Auxerre, 166 kilomètres parcourus en 2 jour, tandis que Miss Eddy Wed, grippée, a abandonné ; mais son cheval continue avec une cavalière suppléante, Mme Lenoir :

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Le Raid Hippique féminin Paris-Cannes
in Le Petit Parisien du 28 février 1928
A la rencontre de quatre amazones
Autun, 27 février (de notre envoyé spécial)

Je m'étais assuré ce matin, avant de quitter Dijon, que quatre amazones du Paris-Cannes allaient coucher cette nuit à Liernais, comme l'avait prévu le programme de l'épreuve.
- Mlle Gaïatry, m'avait-on-dit, est arrivée hier soir à 15h30 à Rouvray (Côtes-d'Or) ; elle y a passé la nuit et ce matin, à 7 heures, elle était à Saulieu. Elle a brulé l'étape de Liernais et se dirige vers Autun.

A 14 heures j'étais à Autun. L'hôtelier qui doit héberger les concurrentes fut tout surpris d'apprendre que l'une de ses clientes était déjà à la porte de la Rome du Morvan. Mlle Gaïatry était tout simplement en avance 'une journée entière sur l'horaire.

A la gendarmerie, le capitaine Serre, cavalier passionné et galant homme, se renseignait de tous côtés et me renseignait aimablement. Bientôt je m'engageais sur la route de Saulieu et m'arrêtais près de Cordesse.

Je suis servi par la chance. Tout aussitôt, en haut d'une montée, une amazone suivie d'une auto. "Colibri" marche sans la moindre fatigue, malgré les 70 kilomètres parcourus depuis ce matin et les 280 franchis depuis Paris. Mlle Gaïatry, coiffée d'un turban de feutre taupe, vêtue d'une blouse de même couleur, d'une culotte beige, et bottée de cuir fauve, tient la bride avec un grand air de douceur et de maîtrise.

J'aborde le conducteur de la limousine pour l'interroger sur les incidents de la route.
Sans chercher à dépasser ses concurrentes, cette jeune fille de seize ans brûle les étapes et, à plus d'une reprise, elle a dû réveiller ses contrôleurs, qui la croyaient encore loin.

Son plus grand souci est son "Colibri", à qui elle épargne la fatigue et qu'elle dorlote à ses gites. Tantôt le lançant au trot, et tantôt le forçant à un pas plus lent, selon la nature et le relief du sol, elle parcourt des étapes de 70 kilomètres. Telle est la forme merveilleuse du cheval que je le vois engager une danse endiablée en croisant une rosse campagnarde.

Mlle Gaïatry, reprend son suiveur, évite les grandes villes et couche dans de petits villages. ce matin c'est une fermière de Bard-le-Régulier qui l'a reçue à sa table, hommage qui a touché Gaïatry. Une femme du pays lui a apporté une immense gerbe de fleurs.

Des automobilistes descendent de leur voiture et, courant après le cheval, applaudissent, agitant mouchoirs et chapeaux. On réclame la tortue fétiche qui, repue de salade, repose dans la voiture.

Les impressions de voyage de la jeune fille ? Insensible à la fatigue, souriant à la nature, elle est tout entière fascinée par le but de la course - la Côte d'Azur et son ciel ensoleillé ;

A 15h51, Mlle Gaïatry entre dans Autun, aussi fraîche, après cette trotte de 300 kilomètres, qu'après une promenade au Bois. Elle se hâte vers l'écurie, puis vers sa chambre. Demain à l'aube, départ pour Mont-Saint-Vincent.

Les habitants, de leurs fenêtres, acclament la gagnante. Miss Cody est à 18 kilomètres d'Autu, et Mme Féraud à 28 kilomètres.

Les dernières concurrentes ont quitté Auxerre.
Auxerre, 27 février (dép. Petit Paris)

Mlle Grossi, dont le cheval était légèrement blessé, a quitté Auxerre ce matin à 5h15. Mme Lenoir, la suppléante de miss Eddy Wedd, qui s'était arrêtée hier soir à Joigny, est arrivée à Auxerre ce matin à 10h20.

Détail curieux : avant de monter en selle aux Chartrettes pour remplacer miss Wedd, elle n'avait jamais fait de cheval.

Mme Lenoir est repartie à 14h15 pour Vermenton.