Rachel DORANGE, 2e Raid Hippique féminin Paris-Cannes

Trois autos-contrôles nous accompagnaient. Une en avant, une autre au centre, une troisième pour les retardataires. Dans une auto se trouvait Monsieur H…, homme de très haute taille qui mesurait 1m.86. Il me rappela ce soir-là, au dîner, les acrobaties de Grain à l’Etrier et il ajusta : « Je n’ai jamais eu peur d’un cheval, mais il ne me plaisait pas de voir ses sabots s’agiter au-dessus de ma tête ».

Le matin, encore bien chaudement enfoncée dans les draps, j’entendis dans la cour le pas d’un cheval. Cela me rappela à la réalité. "C’est ma concurrente qui part".

J’enfilai culotte, bottes et descendis en hâte donner à manger à mon cheval pour remonter ensuite faire ma toilette et déjeuner d’un bon café au lait avec pain et beurre. Beaucoup de beurre.

Le matin était glacial. Je grelottais. Je marchais longuement à côté de mon cheval pour me réchauffer et, pour ne pas ralentir son pas qui était bon, j’allongeais tant que je pouvais mes courtes jambes. Je tapais fortement le sol pour faire venir le sang jusqu’aux orteils et mes bras faisaient de grands gestes car je ne sentais plus mes doigts. Le jour montait lentement. La route était glissante. Il avait gelé la nuit et nous marchions sur du verglas.

Des cavalières étaient déjà loin devant moi, mais il y en avait aussi derrière. Des automobiles nous suivaient, nous parlaient, nous offraient des cafés chauds et autres gâteries. Je refusai tout. Sait-on jamais ! D’autres me disaient : « Le raid nous intéresse ; nous irons jusqu’à Cannes » .

Aux passages à niveau, quand les barrières tombaient et me contraignaient d’attendre, Grain dansait littéralement sur place au passage du train. Sans doute n’en avait-il jamais vu.

Tout le long du parcours, des gens nous attendaient, nous encourageaient.

Quand je traversais des pays le soir ,ce qui était rare, j’entendais les habitants dire : « C’est encore une amazone, c’est dommage qu’on ne la voit pas ».

Des cavaliers nous accompagnaient parfois. Des officiers, des sous-officiers. Ils savaient bien eux, que les chevaux aiment la compagnie. Parmi ceux-là, il en était un qui montait un magnifique cheval, de forme et d’allure. Je lui en fis compliment, mais il me répondit : « Beau peut-être, mais assurément il ne ferait pas ce que le vôtre va accomplir ».

Midi arrive quand même vite. Je commande le déjeuner pour nous deux. J’enlève le paquetage, la selle, la couverture, la bride et fais à Grain un bon massage qui consiste en tapotements vigoureux sur le dos afin de faire revenir le sang à fleur de peau. Ensuite, je passe aux jambes et chaque jour je recommencerai le même travail fatigant midi et soir.

Les amazones accompagnées n’ont pas ce mal. L’écuries est trouvée et préparée d’avance. Les repas sont commandés. L’auto, au dernier moment, n’a qu’à filer à 60 où 70 à l’heure et les soigneurs n’ont qu’à préparer la litière en en attendant le cheval. Quand l’amazone arrive, un homme le prend et lui donne les soins nécessaires. L’amazone n’a qu’à dîner et dormir. Le matin, son cheval est prêt. On la réveille au dernier moment et elle peut partir de bonne heure, sa route étant éclairée par les phares de l’auto. L’auto ou la bicyclette transporte tous les paquetages et même du superflu. Le cheval n’est gêné que par le poids de sa cavalière.

Quelle différence avec moi ! Et dire que cela ne leur donne qu’un handicap de trois heures ou de huit heures. Le travail et la fatigue qui me sont imposées équivalent à faire deux fois le raid.

En général, et suivant la nature du terrain, je demandais à mon cheval trois kilomètres au trot, deux kilomètres à pied, trois kilomètres au trot, deux kilomètres au pas.

Jamais de galop.

Je le trottais sur le diagonal droit et sur le diagonal gauche et, autant que faire se pouvait, sur la route à droite et sur la route à gauche afin de répartir avec égalité la fatigue sur chaque membre.
Au pas, l’encolure libre et les jambes près.

franchement , quel périple !!!!

Quand je marchais à pied à côté de mon cheval, autant pour le soulager que pour me réchauffer, je lui donnais beaucoup de sucre et des carottes. Du sucre parce que c’est un stimulant immédiat et des carottes pour lui rafraîchir la bouche et lui permettre de manger davantage de sucre.

Je lui parlais, je le caressais ; je le laissais même ramasser quelques brins d’herbe quand la neige ne les recouvrait pas : cela le distrayait.

Je ne hâtais son pas que monté. A pied, pourvu qu’il marche à ma vitesse (6 kilomètres à l’heure) cela me suffisait. Dire le nombre de « bûches » que nous avons pris tous les deux sur ce verglas et dans cette neige serait impossible !

Quel français agréable!

Je faisais ferrer ou plutôt je faisais poser des clous à glace qui s’usaient très rapidement tous les quinze kilomètres environ. Lorsque je trouvas une écurie sur mon passage, je demandais d’y laisser mon cheval quelques secondes, le temps qu’il urine sur la paille qui est une invite pour les chevaux. Grain avait aussi l’habitude de boire souvent et peu à la fois.

Se représente-t-on ce que peut être pour une cavalière accompagnée qui fait une telle randonnée, d’avoir dans une auto tout ce dont on peut avoir besoin depuis les effets de rechange jusqu’aux bonbons qu’on suce en cours de route ? Et les fers de rechange ? et les crochets à glace et les objets de pansage, et tout et tout ?

Les autres n’avaient qu’à penser à l’étape. Elles n’avaient qu’à suivre l’auto, aucun risque de s’égarer, et pour un cheval, une auto, des voix, de l’animation, tout cela ce sont des entraîneurs de première valeur. La route éclairée le matin permet de partir de bonne heure et le soir d’aller plus longtemps. Les autos qui venaient en sens inverse les gênaient peu.

Quand j’avais marché trois quart d’heure ou une heure dans la nuit noire je n’en pouvais plus ; les kilomètres me semblaient longs.

Aussi je m’arrêtais la plupart du temps vers 18 heures, tandis que les autres continuaient leur route jusqu’à 20h30. Mais certaines dépassaient de beaucoup l’heure réglementaire et cela d’accord avec certains commissaires du contrôle.

Quelques cavalières n’ont pas dormi trois heures par nuit. Oh ! justice !...

Un soir, aveuglée par des phares et croyant conduire mon cheval sur le côté droit de la route qui faisait un léger coude je donnais en plein dans un arbre.

Une autre fois mon cheval prit peur au bruit d’un klaxon manœuvré trop près de lui. Il recula brutalement et nous tombâmes tous près de lui. Il recula brutalement et nous tombâmes tous les deux dans le fossé qui, heureusement, était sans eau. Mon paquetage s’étant ouvert, tous les objets ou à peu près, étaient épars. Je dus chercher, rassembler et réparer le tout à la lueur d’une petite lampe électrique que je trouvai intacte. Et avec cela mon cheval était nerveux, nerveux !

Après cette chute dans le fossé je décidai de ne plus faire de route après la fin du jour car tous les accidents devenaient possibles.

Une autre fois, marchant tranquillement dans la nuit sombre à côté de mon cheval, quelqu’un sortit de l’obscurité, mit la main sur mon épaule – à me glacer d’effroi – et dit : « Je vous attendais, mon auto est là. – Votre auto ? Que voulez-vous que j’en fasse ? ». A son de ma voix il ajouta : « Oh ! pardon, il y a erreur » et il disparut dans la nuit comme il était venu.

Quelle est donc l’amazone que cette auto attendait ?

Mademoiselle Dorange avait abandonné avant 100 kilomètres. D’autres amazones n’en firent pas 300.

Sept persévérèrent jusqu’au bout et si elles avaient dû le faire dans les conditions qui m’accablaient, une seule serait arrivée : Madame Chermat.

Mes amis d’Autun avaient dépêché au-devant de moi, pour quelques kilomètres, un cavalier qui me fit prendre un raccourci à travers champs. De moi-même, je ne l’aurais jamais trouvé car tout était blanc de neige.

A l’Hôtel des Voyageurs où j’étais très connue pour avoir, deux ou trois saisons de suite, chevauché dans la forêt Planoise, je fus la bienvenue.

Là, je fus gâtée. J’y trouvai le petit paquet de linge propre que j’avais envoyé. J’avais retenu une chambre chaude et une écurie non moins douillette pour mon compagnon de route.

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J’avais voulu partir avec des bottes (bien m’en prit). D’abord je ne considère un cavalier que chaussé de cette façon. On me conseillait des souliers solides et des leggings, mais je ne voulais rien entendre. Je savais par expérience que je pouvais marcher fort bien et longtemps avec les bottes que j’avais fait faire l’année précédente et dans lesquelles j’étais à l’aise. On marche très bien avec des bottes et elles chaussent bien.

Tout dans ma tenue avait été soumis à un examen méticuleux. Costume, chapeau et bottes de même teinte. Un imperméable qui ne laissait pas passer l’eau, ce qui est rare. Il s’agissait d’affronter les pluies d’hiver, j’entends les pluies qui mouillent vraiment et non celles de Paris que l’on évite en prenant le métro, en entrant dans un café ou en se réfugiant sous une porte-cochère. Or, nous n’avons eu que de la neige.

A Autun, l’Hôtel de Paris offrait à dîner aux amazones. Aux contrôleurs aussi sans doute. L’ayant appris trop tard je restai donc avec mes amis. Mais le contrôle jugeant sans doute déplacé que l’on refusât une offre aimable, dépêcha quelqu’un qui me fit savoir que je devais me présenter pour me faire pointer. Il était 21 heures.

Je fis valoir l’heure de mon arrivée : 18 heures. On me dit : « Je vous vois à 21 heures, je considère donc que vous arrivez seulement ». Et comme j’ai la tête assez près du bonnet je répondis : « Qu’à cela ne tienne, je puis bien vous céder ces 3 heures-là ».

Je n’avais guère le temps de consulter les journaux. Cependant, quelquefois je jetais un vague coup d’œil sur l’un d’eux pour me rendre compte de la position des amazones, car personne ne me renseignait.

C’était parfois en vain que j’y cherchais mon nom à croire que je suivais en amateur et que je n’étais pas une concurrente.

Madame F. avait l’avantage des plus grands papiers. Les moindres incident étaient relevés, commentés. Et pour que cela fut plus intéressant on allait jusqu’à inventer ! Il était visible qu’elle possédait en bonne place une certaine sympathie et moi une réelle antipathie.

Ce qui me gênait surtout, c’étaient les fers de rechange que j’avais emportés. Ils étaient lourds et se déplaçaient dans mon paquetage que je serrais pourtant autant que je pouvais.

Ces fers ne tardèrent pas à venir heurter mes genoux à chaque temps de trot, surtout le genou droit.

Au bout de quatre jours, il était tout noir, enflé, chaud et douloureux et pour aggraver cela, pendant que je massais le dos de mon cheval, celui-ci me marcha sur le pied du côté déjà malade et m’écrasa à moitié le petit orteil.

En marchant, je souffrais du pied et en selle, je souffrais du genou que je maintenais difficilement plié, dans la position du vrai cavalier.

Le lendemain j’utilisai ces fers, mais le mal était fait. Que ne les ai-je balancés dès qu’ils commencèrent à me gêner sérieusement.

Le lendemain j’utilisai ces fers, mais le mal était fait. Que ne les ai-je balancés dès qu’ils commencèrent à me gêner sérieusement.

Le soir, un gendarme vint au-devant de moi et me demanda si j’étais Mademoiselle Le Bourdonnec ? Il m’offrit une écurie chez lui et donna à manger à mon cheval. Oh !

Le brave homme et comme il tombait bien. Je souffrais tellement et j’avais une forte fièvre. Il me conseilla de voir un médecin. Mais un médecin m’aurait dit d’abandonner.

A l’auberge on tardait à me servir une soupe que pourtant je désirais manger avant d’aller me coucher. Tous ces braves gens voulaient un tas de renseignements sur le raid et j’avais envie de les bousculer et de leur dire : « Flûte ».
Une bouteille de limonade était sur la table ; ma fièvre convoitait cette fraîcheur pour satisfaire mon palais. Mais ma sagesse aurait dû m’en préserver. Après l’avoir regardée longtemps, je ne pus résister. Je demandai un verre et j’avalai cette boisson glacée.

Ensuite je passai une heure à faire des applications chaudes sur mon genou tout noir et, pour la nuit, je l’enveloppai de deux serviettes mouillées que la température de mon genou maintenait chaudes.

Le lendemain, levée seulement à 8 heures, je vis que je perdais du temps. Deux amazones passaient : Madame Chermat et Mademoiselle Leik et, apprenant que j’étais là, elles s’arrêtèrent quelques minutes et m’encouragèrent.

Dans la journée le résultat de la limonade se fit sentir. Je ne faisais que me déculotter. Les premières fois j’allais, par pudeur, me cacher dans les champs ou dans le fossé ; Mais, comme cela se renouvelait trop souvent, je finis par rester sur le bord de la route…

Tant pis pour ceux que cela choquerait … ou qui n’auraient pas le tact de se retourner...

Décidément, quelle aventure

encore une fois, merci de nous faire partager cela !

Dans la matinée du lendemain (seulement) je trouvai une pharmacie qui me délivra un peu d’élixir parégorique ;

Et n’ayant plus mes fers de rechange qui venaient heurter mon genou, l’état de celui-ci s’en trouva quelque peu amélioré. Quant à mes jambes elles étaient en papier à cigarettes comme si j’avais subi une crise de dysenterie.

Que se passa-t-il ce jour-là à l’heure de midi ?

- J’avais commandé pour tout déjeuner une tasse de thé très fort et des biscuits, puis un lit pour me reposer, et demandé à l’hôtesse de me réveiller au moment où deux cavalières accompagnées de deux soigneurs en auto en seraient à déguster leur café.

Quand j’arrivai près de mon Grain d’Orge je vis qu’il avait cassé la porte de son box et laissé son avoine. Qu’y avait-il dans cette avoine pour qu’il la refusât ?

- En prenant part à de telles compétitions j’aurais dû abandonner le rêve, auquel j’étais habituée, pour ne pas voir la réalité sous son vrai jour, c’est-à-dire cruelle, égoïste, intéressée. S’efforcer de déjouer tous les complots, ne tenir compte d’un règlement que juste pour n’avoir rien à se reprocher et filer les étapes sans s’occuper de personne.