Marion von Dönhoff et sa ruée vers l'Ouest en 1945.

Après Rachel Dorange et Linde von Klinckowström qui ont parcouru l'Europe à cheval à la fin des Années folles, occultant encore Friedel Schümann qui effectua au moins 8 000km entre le Rhin et la Vistule pendant le IIIe Reich ( je cherche à compléter l'identité de la cavalière du WinterHilfWerk, WHW. Hilfe ! - née près de Gdansk à Tiegenhoff, mariée à Marienburg (Malbork), avec Kurt Schûmann), je vous propose de suivre l'épopée hippique d'une quatrième amazone, 1 400 km depuis la Prusse Orientale, aujourd'hui polonaise jusqu'en Westphalie.

En 1941 elle avait effectué avec sa cousine un raid en Masurie, un adieu anticipé au pays de ses aïeux. Nous en avons déjà fait part dans un autre titre.

Pour vous la présenter, le journal français Libération 1995, objectif, lui a consacré un article en 1995.

Contrairement à Rachel, Linde, Friedel, cette fois l'amazone est célèbre en Allemagne, en Europe, dans le Monde pour engagement politique dans le rapprochement Ouest-Est.

Son exploit hippique a fait l'objet d'un roman écrit par sa petite nièce Tatjana von Dönhoff. Un film "Die Flucht" en allemand ou "Hiver 1945" en français, en a été soutiré. Des DVD sont disponibles maintenant.

Une pièce de monnaie de 10€ en argent a été éditée en 1999 pour son centième anniversaire.

La séquence européenne de cet exode tragique peut être comparée à celle qu'une guide de tourisme équestre allemande, Sabine SCHUCKMANTEL, sur le même chemin, mais dans le sens du retour, organise.

Vous pouvez bien sûr vous reporter à vos moteurs de recherche favoris pour en savoir plus.

Les textes, traduits, de son "Enfance en Prusse Orientale" méritent une attention particulière notamment parce que toute la toponimie utilisée est désormais polonaise, il y a des noms de villes qu'on ne prononce plus !

Maintenant que le "Mur de Berlin" est tombé, que la Pologne fait partie de l'Union Européenne, on a presque du mal à imaginer la souffrance de toutes ces populations déplacées dans tous les sens et pendant des siècles dans la Mitteleuropa ...

Le récit du raid Prusse-Orientale-Westphalie est extrait de ces deux livres écrits par Marion von Dönhoff :

"Une enfance en Prusse-Orientale":



"Des noms que personne ne prononce plus" :

En comparant avec la carte précédente on voit que les frontières ont changées. La Prusse Orientale d'où partait La Comtesse Marion Dönhoff a été partagée entre la Pologne et la Russie (ex-URSS) qui conserve l'enclave de Kaliningrad (ex Könnigsberg) où était le château familial.

En janvier 1945, le Front de l'Est va craquer :



Marion von Dönhoff organise l'exode des réfugiés mais est menacée par les nazi car cette attitude réaliste est jugée "défaitiste". Himler prend le commandement de la région !

La plupart des illustrations qui illustreront le récit de la ruée vers l'Ouest de Marion proviendront du film "Die Flucht" ou "Hiver 1945" où Marion devient, sous la plume de sa nièce Tatjana, Lena Gäfin von Mahlenberg et où l'action commence dès l'été 1944 par le retour de Marion chez son père :

Ce site propose l'évolution des fronts et frontières, jour après jour, pendant la seconde Guerre Mondiale 1939-45 :

ENFANCE EN PRUSSE ORIENTALE
L’hiver 1945, p.205
Les noms () sont en polonais :
Quittainen (Kwitajny)- Preussisch Holland (Pasłęk)- Elbing (Elbląg)- Marienburg (Malbork)- Dirschau (Tczew) – Bürow - Berent- Varzin (Warcino) – Stettin (Szczecin) – Usedom (Uznam) –Wollin (Wòlin) - Poméranie antérieure –Uckermarck - Prenzlau- Marche – Mecklembourg - Basse-Saxe – Westphalie -Vinsebeck.

Il était 3 heures du matin. Je ne me souviens plus exactement du jour, tout n’étant plus alors, qu’un vaste chaos sans dates, mais je suis certaine qu’il était trois heures du matin, car, je ne sais trop pourquoi, peut-être simplement par nervosité, je regardai ma montre.

Depuis des jours j’étais à cheval, intégrée dans la grande colonne des fugitifs qui déferlaient vers l’ouest, mais ici, à Marienbourg, le flot avait de toute évidence été détourné et je me trouvais tout à coup absolument seule, face au grand pont sur la Nogat.

Le gigantesque cortège de traîneaux, de voitures, de tracteurs, de piétons et de charrettes à bras qui occupait toute la largeur des interminables chaussées de Prusse orientale et s’écoulait lentement, inexorablement, comme de la lave dans une vallée, était certes un spectacle assez hallucinant, mais la soudaine solitude était encore presque plus effrayante.

Devant moi s’étendait le long viaduc de chemin de fer  - une haute et vétuste carcasse de fer faiblement éclairée, dont une lampe suspendue, secouée par le vent, projetait l’ombre gigantesque.

J’arrêtai un instant mon cheval et avant que le bruit de son pas sur le tablier du pont en planches disjointes n’ait couvert tous les autres, j’entendis un court battement, au rythme bizarre, évoquant celui d’un être à trois jambes lourdement appuyé sur une canne qui se serait déplacé avec lenteur sur ce sol de lattes sonores. Je ne discernai pas tout de suite ce dont il s’agissait, mais je vis bientôt trois spectres en uniforme qui se trainaient en silence. L’un d’eux s’appuyait sur des béquilles, l’autre sur une canne, le troisième avait un gros pansement autour de la tête et une manche vide qui pendait. On avait, paraît-il, laissé aux blessés de l’hôpital la liberté de se débrouiller seuls, mais trois seulement sur mille en avaient eu la force…

Les blindés russes étaient à 30km, peut-être même pas…

Pour moi, ces trois soldats, mortellement atteints, se traînant sur le pont de la Nogat vers la Prusse occidentale, ainsi que cette amazone, dont les ancêtres étaient venus de l’Ouest, il y a sept cents ans, dans ces grandes contrées sauvages et qui maintenant s’en retournait, c’était la fin de la Prusse orientale.

C’était sept cents ans d’histoire abolis. Comme je l’ai déjà dit, je ne saurais préciser quel jour ceci advint ; ce fut un jour  parmi d’autres de fin janvier 1945.

A  la mi-janvier, en effet, l’offensive russe s’était déclenchée contre un front mince et fragile comme la glace au printemps. Nombre de divisions allemandes ne comprenaient plus que quelques centaines d’hommes. Des unités blindées sacrifiaient une partie de leurs chars pour récupérer le carburant nécessaire aux autres…

Ces lignes m'ont retournée! Quelle chance avons-nous, chez nous au moins, de ne pas vivre la guerre!
Merci pour cet extrait.

A la mi-janvier, en effet, l’offensive russe s’était déclenchée contre un front mince et fragile comme la glace au printemps. Nombre de divisions allemandes ne comprenaient plus que quelques centaines d’hommes. Des unités blindées sacrifiaient une partie de leurs chars pour récupérer le carburant nécessaire aux autres…

Peu de temps auparavant, à la mi-janvier 1945, parut chez moi, à Quittainen, un agent du parti nazi du district de Preussich-Holland, m’avisant de la part du gauleiter de Königsberg, que si je continuais à faire des préparatifs en vue d’un exode qualifié de défaitiste, je m’exposais à de sévères sanctions…

Durant l’été, nous avions eu toute latitude de mettre au point notre équipement, alertés depuis le printemps par le flot de réfugiés qui déferlait sans trêve…

Marion était née au château de Friedrichstein qui est aujourd'hui dans l'enclave russe de Kaliningrad (Königsberg)...

Quittainen s'appelle maintenant Kwitajny, en Pologne.

Peu de temps auparavant, à la mi-janvier 1945, parut chez moi, à Quittainen, un agent du parti nazi du district de Preussich-Holland, m’avisant de la part du gauleiter de Königsberg, que si je continuais à faire des préparatifs en vue d’un exode qualifié de défaitiste, je m’exposais à de sévères sanctions…
Durant l’été, nous avions eu toute latitude de mettre au point notre équipement, alertés depuis le printemps par le flot de réfugiés qui déferlait sans trêve…

... Ces réfugiés de Goldap avaient donc passé l’hiver chez nous et sérieusement entamé nos réserves de fourrage, ce qui personnellement me laissait indifférente car je savais bien que nous n’en aurions plus besoin.

La direction du parti semblait en revanche s’en préoccuper et c’est ainsi qu’un subtil imbécile s’était avisé précisément au début de janvier – alors qu’on entendait déjà gronder le canon – de renvoyer à Goldap, distant de 250 km, les hommes et les chevaux pour qu’ils consomment sur place les ressources locales.

... Depuis des mois j’avais dans mon bureau une espèce de plan de mobilisation qui prévoyait pour chaque ferme au moment du départ l’affectation des hommes encore disponibles, notamment celle des conducteurs de voiture, et la charge maximale par famille, c’est-à-dire le minimum strictement nécessaire.

J’avais fait tirer à de nombreux exemplaires des cartes d’état-major mentionnant des chemins de terre et les bacs sur la Nogat et la Vistule car il était bien clair que les ponts auraient depuis longtemps sauté.

Toutes ces précisions furent déjouées par les évènements. Comment dans un tel chaos parler de plans ? Aucune liaison d’une ferme à l’autre n’était possible. Coordonner les départs ? Pourrions-nous seulement nous retrouver en route ? Et qui reverrait-on jamais ?...

Sur une "documentation sur l'ancienne province allemande de Prusse Orientale".

Très intéressant résumé, avec beaucoup de témoignages d'aristocrates comme Marion, de paysans, de déportés qui ont vécu en Prusse Orientale, à Königsberg en particulier mais aussi en Mazurie pendant la deuxième Guerre Mondiale, pendant l'invasion soviétique, avec des documents d'archives allemandes, polonaises et russes ou de films.

C'est en allemand mais les images parlent d'elles-mêmes ! C'est assez long, 1h30 ! Beaucoup de paysages permettent d'illustrer les difficultés techniques que Marion e son cheval Allaric ont dû rencontrer ... des millions de déportés, dans les deux sens, ont dû subir des sorts plus ou moins semblables !

A suivre une vidéo, plus souriante de jeunes allemands en visite touristique à Kaliningrad, ex-Königsberg !

Eric Koch était le Gauleiter, sorte de préfet , administrateur, Nazi,de la province de Prusse Orientale, auquel Marion a fait dû faire face et dont elle parle, est souvent visible dans la vidéo ci-dessus ...

"Peu de temps auparavant, à la mi-janvier 1945, parut chez moi, à Quittainen, un agent du parti nazi du district de Preussich-Holland, m’avisant de la part du gauleiter de Königsberg, que si je continuais à faire des préparatifs en vue d’un exode qualifié de défaitiste, je m’exposais à de sévères sanctions…"

Extrait du film "Hiver 1945"

Marion chez le Gauleiter Koch exige le départ imminent des réfugiés :