Laurence BOUGAULT, amazone de la Paix, raid Iran-Paris 2008.

... pendant que je griffonne ces élucubrations, le Mendoza a quitté Marseille et gagné le large. Mais par quel temps, bon Dieu !

Du froid, de la pluie, du vent, de la neige. Une bourrasque d'Islande en un mot...

26 février 1888

La Méditerranée n'est pas brillante, F. Verdet, mon compagnon de voyage, non plus. Mais à moi le pompon.

Les bouches de Bonifacio sont trop connues pour en parler...

27 février 1888

Le soleil nous fait l'honneur d'une visite... à quatre heures apparition des îles Lipari...

Cette fois nous passons entre le Strompoli et le Vulcano ...

... vers dix heures nous franchissons le détroit de Messine...

... La pluie, le vent, la grêle font rage : la Tyrrhénienne s'emballe : Au lit ! au lit !

28 février

La mer est debout et le vent arrière : c'est complet !

29 février

Au lever du soleil, nous rangeons le cap Matapan... Cythère... la mer est toujours très gaillarde... heureusement Anti-Milo et Milo, la patrie de la Vénus sans bras, viennent faire diversion ... à cinq heures, Syra nous reçoit dans son port.

Visitez SYRACUSE

le Mendoza lève l'ancre à neuf heures...

1er mars 1888

Au moment où je monte sur le pont, nous sommes par le travers de Métellin, l'antique Lesbos...

Si la mer est d'un bleu superbe et le soleil radieux, le vent est d'une violence inouïe. Le thermomètre marque 3°.

Toujours nous tanguons et retanguons...

... je constate qu'outre d'innombrables paniers de légumes chargés à Syra, notre pont s'est garni, depuis cette escale, d'un véritable parterre de ballots de formes variées autant que bizarres, d'où émergent, selon le caprice du vent, des extrémités supérieures ou inférieures d'êtres humains des deux ou trois sexes...

- ce sont des "philosophes", c'est à dire des voyageurs de quatrième classe... en Hellade ; comme c'est couleur locale...

... Nous pénétrons dans l'Hellespont (détroit des Dardanelles)... Quatre forts en défendent l'entrée. D'abord les deux "vieux château d'Europe et d'Asie", puis les deux nouveaux Kilidh-Bahr (côté Europe) et Sultaneiêh-Skalessi (Dardanelles) (côté Asie). ce dernier est le plus important. Nous y faisons escale.

D'énormes canons Krupp, gardés par des artilleurs à fez, tendent vers nous leurs menaçantes gueules noires...

Dès que l'autorisation de passage nous a été délivrée par l'autorité turque,nous continuons notre route.

... rien de particulier à dire sur le compte de la Marmara...

A peine puis-je deviner Gallipoli scintillant dans la brume...

2 mars 1888

Ma nuit a été agitée. Je suis inquiet, je l'avoue, à l'approche Constantinople...

... A moi Byzance !

Il a neigé pendant la nuit...

... Et voici la masse superbe de Sainte-Sophie ... Voici la Corne d'Or !

... Qu'importe , après tout, que Stamboul soit à l'occident et la Corne d'Or et Péra à l'orient !

... Byzance détrône Rome, honnit le capitole, brise les faux dieux du paganisme et force Constantin à la nommer Nea Roma !

Constantin fait plus encore pour elle. il veut qu'elle soit assise comme son aînée sur sept collines ; il veut enfin qu'elle porte son nom.

... puis vient l'heure de la décadence...Arabes... Varègues... enfin viennent les croisés qui l'anéantissent... et, voici que Mahomet II entre vainqueur dans Stamboul ... Deuis lors... brille le croissant d'or du prophète...

... pour l'instant, je ne m'étendrai pas sur le désir immodéré que nourrissent l'Angleterre et l'Allemagne de ne jamais voir les Russes à Constantinople...

A terre donc !

Et un canot m'emporte vers Galata...

Visitez CONSTANTINOPLE

... Ah ! par exemple, voici dans la Grande-Rue de Galata, quelque chose de bien couleur locale : des tramways !

Il est vrai qu'ils sont sordidement tenus ; mais j'y remarque des boxes pour le beau sexe...

... Le funiculaire digéré, nous voilà barbotant comme des tanches, pour atteindre la Corne d'Or et le fameux pont de Validé-Sultane.

Ce pont est tout simplement formé de grossiers radeaux encore plus grossièrement agencés ; mais il y coule sans cesse une véritable lave humaine plus bariolée qu'Arlequin, et, comme chaque molécule de cette lave laisse derrière elle au moins dix paras (un sou), ce pont reste le plus limpide des revenus du sultan...

... Nous débouchons du pont en face de la mosquée Yéni-Djami (Validé-Sultane);...

3 mars 1888

Il neige, cette fois pour tout de bon...

... Mais nous voici enfin au grand bazar ...Le caractère turc est un mythe. il ne faut pas oublier que Constantinople est en Europe, et que la camelote et l'article de Paris ou de Londres y règnent en souverains...

Sur ce, embarquons...

Vue de la Corne d'Or, pendant la nuit, Constantinople est encore admirable au point de faire oublier ce qu'elle est en réalité...

4 mars

"... En m'éveillant, à huit heures, je sens le Mendoza immobile.

... Une brume, blanche, glacée, épaisse comme un édredon, roule autour de nous et pose sur la mer, rendant tout départ impossible... Et toujours le brouillard, va vient... mettant des clinquants de givre à mes moustaches...

... et tout à coup, en un point auréolé de blanc, comme un énorme disque de cuivre rouge apparaît le soleil, qui, avidement, d'un clin d'œil de son puissant œil, volatilise les hautes vapeurs...

... Maintenant le ciel est d'un bleu éclatant, le soleil flamboie et quelques légères nuées restent seules accrochées comme des mousselines, aux basses vergues des bateaux...

Ce que voyant, le Mendoza a levé l'ancre et mis le cap sur le Bosphore...

Splendissime Bosphore..."

Visitez le BOSPHORE

"...Le courant est maintenant d'une violence extrême ; mais le Mendoza, en fin marcheur s'il en fût, lutte vaillamment, en soulevant des nuages de canards, de sarcelles et de plongeons.

Nous passons devant un vieux château fort, côtelé de tours crénelées qui nous montre la calme architecture militaire du sanguinaire Mahmoud II...

Plus nous avançons, plus les courbes du Bosphore deviennent gracieuses...

... Mais, ainsi que je l'ai dit, notre Mendoza est incorruptible. envers les Capoues et contre le courant, il tient sa route droit à la Mer Noire, droit à Batoum où il a ordre de se rendre directement..."

Artaria et Comp. - Plan de Constantinople et du Bosphore pour servir de renseignement à la Carte des Limites de Trois Empires, 1802:

Laurence BOUGAULT, amazone de la Paix, raid Iran-Paris 2008. - Page 3 Bospho11

5 mars

"Rien à dire ni pour ni contre le Pont-Euxin, qui ne me traite ni mieux ni plus mal que les autres mers...

Le ciel est bas et gris, l'eau couleur de suie...

Les côtes d'Anatolie apparaissent par deux fois, poudrées de neige, et c'est tout..."

6 mars

"Au réveil, j'entends dire que Batoum est en vue.

Faisons nos paquets...

La matinée est splendide, la mer Noire bleu de ciel, le soleil à son poste...

Autour de nous, dans un éparpillement de grèbes, quelques pélicans goitreux pêchent aussi philosophiquement que des Parisiens..."

Visitez Batoum

"Vers l'est, de hautes montagnes aux cimes neigeuses barrent l'horizon.

C'est Batoum, port franc, d'après le traité très maltraité de Berlin, et port russe depuis 1866, de par la volonté du tsar, à laquelle je ne contredis pas ...

Assez mauvais port d'ailleurs : trop de fond au sud , et à l'est pas de fond du tout.

Mais les Russes sont tenaces : ils finiront par faire une moyenne, Batoum étant tête de ligne du chemin de fer transcaucasien et le grand débouché des pétroles de Bakou. Notre nerf olfactif en sait déjà quelque chose : car nous sommes depuis une heure à quai. pas à terre néanmoins, les douanes russes étant de véritables fourches caudines.

Il est juste de dire qu'outre nos bagages, nous avons revolvers, carabines et fusils, avec munitions pour ces divers outils. Tout comme Tartarin..."

"... Donc gendarmes et douaniers se mettant en posture de faire subir à nos colis un véritable conseil de révision, j'exhibe à leurs yeux ronds un document orné d'un superbe cachet rouge ... C'est un laissez-passer... A la vue du précieux papyrus (sans calembour), les cerbères s'inclinent avec considération... nous prenons possession du sol caucasien.

Un phaéton, sorte de victoria minuscule attelée à la russe avec cocher très "entouloupé", pot nocturne en tête ... nous allons, sans plus tarder, reconnaître les bords du Tchorok, jusque vers la frontière arménienne.

Nous traversons d'abord des plaines marécageuses... nous pourrions nous croire en Camargue..."

"... nous sommes aux faubourgs de la Colchide, au seuil du pays de la Toison d'Or. Et jadis, il n'y a pas un siècle dit-on, les ancêtres de ces loqueteux avaient pour occupation favorite de fixer au fond des cours d'eau gouriens et mingréliens, des peaux de moutons qu'ils retiraient, parfois chargées de paillettes d'or.

... la moralité de cette histoire c'est que celle de la Toison d'or n'est absolument pas un mythe..."

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