Suzanne LE BOURDONNEC, Randonnées équestres et Années folles

Vendredi 27 juin 1924, 5e étape, Condé-sur-Noireau- Clécy.

Dans la Suisse normande, réputée par ses sites, nous allons par de petits sentiers, parfois à travers bois et champs. Je siffle et chante pour distraire mon cheval. Je le caresse, je lui parle, je l’appelle.

Tout à coup, un vent violent s’élève, s’engouffre dans mes oreilles, soulève la poussière de la route et chasse les nuages qui passent rapides au-dessus de nos têtes. De grosses gouttes tombent. Puis, c’est l’averse subite, formidable. Aucun abri sérieux ne se présente si ce n’est de gros arbres feuillus que nous voulons fuir. Sur le bas-côté de la route déjà trempé, les sabots de nos chevaux sortent de terre dans un décollement sonore.

Nous arrivons à Clécy trempés jusqu’aux os. Dans l’auberge où nous sommes descendus, l’hôtelière, femme un peu forte, me prête un vaste peignoir qui ferait deux fois le tour de son corps. Aux pieds, je me mets les chaussettes de son garçonnet, des sabots que je traîne et fais claquer à chaque pas.

Ainsi accoutrée, je vais bouchonner mon cheval et essuyer le harnachement. Nous donnons à manger aux chevaux pendant que les bottes sèchent à distance respectable du feu afin de ne pas racornir le cuir. Culotte, jaquette, chapeau taupé sécheront dans le four du boulanger, seul moyen d’obtenir un résultat rapide. Avant de repartir, un coup de fer au costume, un coup de poing au chapeau et rien n’y paraîtra plus.

Nos déjeunons sous la tonnelle de cette bonne petite guinguette gentiment installée à mi- coteau au-dessus de l’Orne. Nous admirons le paysage rafraichi par la pluie et nous pensons avec joie à la route qui sera sèche demain, à la terre qui sentira bon.

Nous sablons le champagne car nous avons atteint le point extrême de notre randonnée.

Condé-sur-Noireau - Clécy, 9,5km.

Visitez Clécy.

Mêmes jours, mêmes lieux, 20 ans après :

Bataile de Normandie juin-juillet 1944

Samedi 28 juin 1924, 6e étape, Clécy-Thury-Harcourt- Aunay-sur-Odon.

Le lendemain il fait beau, le soleil chauffe, les chevaux vont maintenant très bien. Nous avons depuis trois jours augmenté la ration d’avoine le soir et supprimé le foin à midi ; nos chevaux s’en trouvent beaucoup mieux.

Nous sommes heureux ; que désirer de plus ?

Quittant ce joli coin et cherchant la difficulté et les incidents nous faisons traverser à nos chevaux la rivière peu profonde, près du pont.

Samedi 28 juin 1924, 6e étape, Clécy-Thury-Harcourt- Aunay-sur-Odon.
Le lendemain il fait beau, le soleil chauffe, les chevaux vont maintenant très bien. Nous avons depuis trois jours augmenté la ration d’avoine le soir et supprimé le foin à midi ; nos chevaux s’en trouvent beaucoup mieux.

Nous sommes heureux ; que désirer de plus ?

Quittant ce joli coin et cherchant la difficulté et les incidents nous faisons traverser à nos chevaux la rivière peu profonde, près du pont.

Comme nous sommes en avance, nous nous amusons en route. Nous nous arrêtons dans les fermes pour boire du lait crémeux ou du cidre, le long des sentiers pour manger des cerises ou des fraises sauvages. Ma joie est toujours grande de voir ces petites taches rouges dans l’herbe verte.
Nous faisons monter sur un des chevaux une petite fille, revenant de l’école, qui en a fort envie et prouve sa satisfaction dans un gentil sourire et un silence intimidé. Au bout de 2 kilomètres elle nous montre du doigt sa maison et nous la déposons au-delà d’un chemin très étroit et boueux.

Enfin ! A Thury-Harcourt, nous trouvons un logis confortable. Nous allons à la gare chercher le petit paquet de linge frais qui nous attend : il est bien accueilli. Il prendra sur nos selles la place de l’autre et nous suivra jusqu’à Rennes.

Sur le chemin du retour, en allant vers Aunay-sur-Odon, nous tournons à droite pour contourner la pittoresque boucle de l’Orne dont l’eau claire coule rapide sur des cailloux polis et fait naître la soif. C’est le royaume de la truite. Ce coin est à voir. D’un côté de vastes prairies, de l’autre la falaise embroussaillée, abrupte, ensoleillée. Puis de grands bois de pins continuent jusqu’à Bonnemaison.

A Aunay que baigne l’Odon, un jour de marché, nous trouvons, nous et nos chevaux, à nous caser dans une grande auberge où l’hôtesse est très affable.

Aunay, avant et après les bombardements de 1944 (20 ans après 1924!)

Mais le garçon d’écurie, un filou, donne 4 litres d’avoine pour 8 que nous lui avions demandés. Réclamation d’une part, excuses de l’autre, puis dédommagement sous forme d’un plein seau d’avoine.

Depuis que nous avons constaté ce manque de probité, nous assistons toujours à la distribution des vivres et nous déclarons avoir l’habitude de nous occuper de nos chevaux.

Clécy-Thury-Harcourt-Aunay-sur-Odon, 25km :

Découvrez Thury-Harcourt

Dimanche 29 juin, 7e étape, Aunay-Vire-Sourdeval-Belle-Fontaine

Dans le grand jardin contigu à l’écurie où nos chevaux se régalent, nous trouvons un vieux lancier de 1870 devenu laboureur et qui, en qualité de garde-chasse, a continué à servir son colonel dans sa retraite. Heureux de voir des cavaliers il m’offre de piller son jardin et nous conte, joyeux, ses campagnes. En le quittant il me remet un énorme bouquet de fleurs dont je ne sais que faire, hélas ! Elles sont superbes et parfumées. Je les dispose un peu partout, sur moi-même et sur mon cheval puis, fleuris comme au carnaval de Nice, nous partons. Pauvres roses ! Comme elles se fanent vite sous le soleil au petit galop.

Sur le talus, au bord de la route, une vipère fait la sieste enroulée sur elle-même. Du bout de ma cravache je la taquine. Elle pointe sa tête menaçante. Je file.

La matelassure de la selle d’Unique s’affaisse de nouveau, nous décidons d’éviter la blessure, si cela est possible. D’un poids plus léger (49 kilos), je consens à changer de monture. Arrivés à Vire, malgré le jour de fête, nous cherchons, l’un à droite, l’autre à gauche, l’homme tant désiré qui acceptera de remédier à cet ennui passager. Nous le trouvons bientôt en la personne d’un jeune ouvrier complaisant qui est venu, comme beaucoup d’autres personnes sur le pas de sa porte, en attendant les sabots des chevaux résonner sur le pavé.

Trois heures après, le temps de déjeuner et de visiter le vieux donjon, nous nous remettons en route.
Vers 5 heures du soir nos chevaux ont soif. A Sourdeval, comme ils ont le poil sec, nous les abreuvons dans la grande vasque publique. Pour l’atteindre, au risque de provoquer la colère du garde champêtre, nous avons escaladé le trottoir sur lequel la population endimanchée nous fait place.
C’est là que nous fûmes gratifiés, par un ivrogne qui tenait toute la route, d’un : « Voilà les seigneurs français, la haute volaille ! »

Une heure de pâture dans un chemin en cul-de-sac permettra à nos montures de reprendre haleine, pendant que je vais dans une ferme demander une tasse de lait, une bonne tartine et la ose indispensable à ma boutonnière, renouvelée le plus souvent possible.

Dans les bois de Belle-Fontaine, nous rencontrons deux beaux gendarmes aux montures paisibles. Nous devisons quelque peu, puis nous les laissons ne pouvant garder le pas aussi longtemps.

Un petit ruisseau s’offre à notre vue. Un ruisseau insignifiant. Quelle fantaisie de vouloir le faire traverser à nos chevaux puisque nous pouvons l’éviter. Unique, le premier, refuse. Grigou, seul, aurait passé. Mais, très imitateur il s’entête lui aussi. Invitation, persuasion, rien n’y fait. Alors je me fâche. Nous nous sommes battus tous les deux. Moi avec ma volonté de vaincre, lui dans les mêmes sentiments.
Rênes serrées, cravache, éperons, pas davantage de résultat. Quand il avait un pied dans l’eau brusquement il se dressait, faisait demi-tour et tout était à recommencer. Nous avons lutté vingt bonnes minutes. J’ai cru un instant que j’allais avoir le dessus. Mais des paysans qui travaillaient dans un champ voisin se sont approchés pour voir. Ai-je été intimidée ? Ai-je marqué un peu moins d’énergie ce que mon cheval aurait immédiatement enregistré ? Sans doute, car ses défenses se sont faites plus fortes. Et puis, comme l’heure passait, que Grigou avait encore de la route à faire, que ces braves gens me gênaient, j’ai cédé. Oui, j’ai cédé. Et mon cheval qui a excellente mémoire s’en souviendra. Faudra-t-il encore que je cède encore? Non.

J’aime le cheval avec lequel il faut lutter à condition d’avoir devant soi de longues heures et pas de route à faire. Et le caractère de Grigou, taquin, vibrant, me comblait tous les jours de joie.

Aunay-sur-Odon - Bellefontaine, 53km :

8e étape, 30 juin 1924, Belle-Fontaine-Mortain

Huitième étape, Mortain, beau pays, belles cascades, gentils ruisseaux et doux murmures. Par contre nous avons chevauché à la poursuite de la forêt mais nous n’avons trouvé que de la lande pourrie, formée d’ajoncs, de rochers, de branches rabougries et de quelques taillis, pas de forêt hélas ! Que lui est-il arrivé ?
Qu’importe. Mortain restera dans mon souvenir comme le plus joli des sites visités par nous jusqu’alors.

Visitez Mortain

Nous filons par une belle avenue ombragée vers la route de St-Hilaire-du-Harcouêt, route droite, monotone et silencieuse, sous un soleil ardent. Nous avons le temps de fournir l’étape et nous irons doucement. Mais sous ce soleil, les kilomètres semblent longs. J’ai retiré ma jaquette trop chaude à mes épaules. Les chevaux qui refusent quelquefois de boire à l’écurie, entrent dans la Sélune et s’y abreuvent avec plaisir.

Alors que l’eau coule sous le ventre de mon cheval, je la vois monter. Que se passe-t-il ? Aurais-je le vertige ? Mais non. Rien de cela. C’est Grigou qui se baisse lentement et se serait encore couché dans la rivière si mes éperons n’étaient pas intervenus. Puis, je vois passer au fil de l’eau comme une forme humaine que je repêche au bout de ma cravache. L’étoffe est vide. Ce n’est heureusement que ma jaquette, simplement posée sur la selle, à laquelle je ne pensais plus et que Grigou avec ses fantaisies a fait glisser. Deux heures sous ce soleil ardent et il n’y paraîtra rien. Le tissu reprendra sa forme première.

Nous avons décidé de coucher à St-James. Mais comme les gorges réputées de la Sélune tentent notre curiosité nous faisons un crochet.

Nos chevaux bien traités sont maintenant en forme. Ils fournissent l’étape aisément et pourraient donner plus, mais cela nous suffit. Il faut de la joie et de la douceur pour nous quatre.

Les randonnées à cheval sont bien la meilleure manière de voir et d’admirer. On passe partout ; on peut traverser marécages, rivières, étangs, carrières ; on peut sauter talus, fossés, barrières.